|

Nécessaire de rasage
pour chaque soldat en 1917
|
GILLETTE,
FINE LAME DEPUIS 1895
Numéro un mondial du rasage
mécanique, Gillette applique depuis
ses origines le précepte de son
fondateur; King Camp Gillette : ce
sont les lames et non les rasoirs
qui fondent le succès du produit. Un
choix judicieux qui se traduit par
la maîtrise de plus de 60% du marché
mondial et une présence dans 145
pays.
Par Jean Watin-Augouard
|
"King, toi qui penses toujours à quelque
chose et qui invente toujours, ne
pourrais-tu pas inventer un objet qui, une
fois utilisé, serait jeté.
Le consommateur viendrait toujours en
demander encore plus. Avec chaque nouveau
client, tu construis une base de profit"
(1). Précieux conseil que celui donné par
William Painter, directeur de la Baltimore
Seal Company, société fabricant des capsules
de bouteille, à l'un de ses voyageurs de
commerce, King Camp Gillet te. Nous sommes
en 1891. Mais ce dernier a, pour l'heure,
d'autres obsessions. Canadien d'origine
française (2), King C. Gillette est d'abord
préoccupé par la santé morale de ses
concitoyens. Ironie de l'histoire : celui
qui sera l'inventeur du rasoir à lame
jetable et le fondateur de l'entreprise
Gillette, numéro un mondial du rasage, est
un utopiste, dans la lignée des Fourier et
Cabet. En 1894, il publie "The Human Drift"
(La dérive humaine), un livre dans lequel il
dénonce la concurrence économique et la
compétition, sources, selon lui, de tous nos
maux. Il prône l'avènement d'une entreprise
universelle dont le peuple serait
l'actionnaire (3).
 |

King
C. Gillette (1855-1932),
le "roi" du rasage. |

Gillette est présent
en Allemagne dès 1908 |
Le paradis sur
terre! Un an plus tard, King C.Gillette
inaugure l'ère de l'éphémère avec le premier
rasoir à lame jetable! Comment passe-t-on de
l'utopie au rasoir ? Réponse de l'inventeur
génial, au sommet de sa gloire...
industrielle : "un beau matin, je trouvais
que mon coupe-chou rasait mal. Or je l'avais
déjà passé sur le cuir. Il avait donc besoin
d'être aiguisé. Alors que je me tenais là,
le rasoir à la main, mes yeux posés dessus
aussi légèrement qu'un oiseau qui se pose
sur son nid, le rasoir Gillette était né. Je
l'ai vu entièrement dans un flash, et au
même moment, beaucoup de questions
inexprimées trouvèrent leurs réponses, plus
par la rapidité du rêve que par le lent
processus de la raison".
"Ce même jour, - nous sommes en 1895 - il
achète, dans une quincaillerie de Boston, du
ruban d'acier, quelques morceaux de cuivre,
des limes, un petit étau et se met à l'œuvre
pour fabriquer un modèle de son invention
personnelle.
A sa femme, en visite chez des amis dans
l'Ohio, il écrit, avec une confiance
extrême: "je l'ai. Notre fortune est faite
!". Baptisé rasoir de sûreté ("safety razor"),
ce rasoir mécanique se compose d'une lame
très fine et à double tranchant coincée dans
un support. Inutile de la passer sur un cuir
pour l'affûter: elle est jetable !
Quatre années seront nécessaires pour
affûter... l'idée: en 1899, grâce aux trois
prototypes réalisés par Steven Porter,
mécanicien à Boston, King. C. Gillette se
rase, pour la première fois, avec un rasoir
à lame jetable. Il reste néanmoins à le
parfaire, durcir et aiguiser davantage les
lames d'acier, élargir le manche pour qu'il
tienne plus facilement dans la main. Autant
de "perfections" que l'on doit à William
Emery Nickerson, chimiste à l'Institut de
technologie du Massachusetts. Lequel,
annonce: "je suis certain que l'on peut
réaliser un rasoir qui aurait beaucoup de
succès. Si les lames sont fabriquées selon
des méthodes appropriées, un résultat hors
du commun nous attend". King C. Gillette
voulait changer le monde!
 |

l'Illustration 1911 |
Il changera son
visage. Sa "cité idéale" installée au-dessus
d'une poissonnerie à Boston sera
enregistrée, le 28 septembre 1901 sous le
nom d"'American Safety Razor Company". Elle
devient Gillet te Safety Razor Company
l'année suivante. Et c'est en qualité
d'actionnaire de la société que William
Emery Nickerson conçoit les machines
capables de produire en quantité des lames
de qualité. La production débute en 1903,
annoncée par une première publicité - une
demi-page dans le Systems Magazine -: "nous
offrons un nouveau rasoir". Prix de vente: 5
dollars le rasoir, un dollar le paquet de 20
lames. Le succès n'est pas au rendez- vous :
51 rasoirs et 168 lames sont vendus et la
société affiche une dette de 10000 dollars!
L'accueil est plutôt mitigé surtout chez les
couteliers qui jugent l'idée de Gillette
chimérique.
Changement de cap en 1904 grâce à une
commande de la Townsend & Hunt Company: 90
884 rasoirs et 123 648 lames. Le paquet de
lames est toujours vendu un dollar mais le
nombre de lames passe de 20 à 12 ! Dépôt du
brevet, premier d'une longue série, le 15
novembre 1904. La signature et le portrait
de King C. Gillette apparaissent sur les
publicités et les emballages de lames en
1905 avec la mention "King C. Gillette's
Patents". 250 000 rasoirs et deux millions
de lames sont vendus cette année-là.
L'expansion internationale accompagne la
société dès sa naissance. Un bureau de vente
ouvre à Londres en 1905. Breveté dans un
certain nombre de pays étrangers, le rasoir
Gillette risquait de tomber dans le domaine
public s'il n'était pas exploité avant une
certaine période (généralement 3 ans). De
surcroît, le produit devait être fabriqué
dans le pays qui accordait le brevet. En
France, la date, limite tombait fin 1905. La
première fabrique étrangère de Gillette voit
donc le jour à Paris, en 1905, au 24 de la
rue Cauchy. Suivent le Canada en 1906,
l'Allemagne en 1908 et l'Angleterre en 1909.
Le savoir-
faire sans le faire-savoir n'est
rien. King C. Gillette ne l'ignore
pas qui affirme: "tout le succès de
cette affaire dépend de la
publicité". Et des méthodes
commerciales originales comme celle
proposée par le revendeur français
Kirby, Beard & CO en 1906 : "nous
offrons, pour faire essayer le
rasoir "Gillette", de le vendre à
l'essai, c'est-à-dire de reprendre
et rembourser tout rasoir "Gillette"
ne donnant pas entière
satisfaction". Durée de l'essai : 15
jours !
 |
En 1908, on
peut lire dans L'Illustration : "ce
merveilleux instrument vous évitera
à coup sûr tous les ennuis
ordinaires et vous épargnera du
temps et de l'argent. Vous aurez, en
l'employant, la certitude d'être
toujours rasé de près sans danger de
blessure ou de maladie
transmissible. Sa simplicité est
idéale. Il est toujours près à être
employé. Ses lames à double
tranchant servent chacune de 10 à 40
fois et ne nécessitent ni repassage
ni affilage. Elles sont remplacées à
bon compte par des lames de rechange
vendues séparément. |
Le Rasoir de sûreté Gillette est le compagnon
indispensable du touriste moderne". Pour
preuve de la sécurité de ce rasoir, une
publicité datant de 1909 où l'on voit un
bébé, rasoir à la main, le regard souriant :
"commencez tôt à vous raser ; Gillette, ni
repassage, ni affilage".
Thème récurrent en 1911, quand une petite
fille rase son grand-père : "c'est un jeu
d'enfant que de se raser avec un Gillette.
Le Rasoir Gillette s'ajuste à volonté
suivant l'épaisseur de la barbe. C'est à la
courbure de la lame Gillette que l'on
distingue le Rasoir Gillette" !
La réclame
sert aussi à lutter contre les
imitations. Gillette prévient ainsi
ses clients en 1909 : "toutes les
lames qui imitent la lame "Gillette"
restent rigides et par conséquent
mauvaises.

l'Illustration 1909 |
La lame du
"Gillette" peut être courbée à
volonté et donner ainsi au rasoir
l'angle nécessaire pour raser
parfaitement de près ou non", Où
l'on parle - déjà! -des
"perfections" qui "rendent le "Gillette"
inimitable malgré ses nombreuses
imitations". Que faire pour les
déjouer ? Innover. En 1910, Gillette
sort un nouveau rasoir doté d'un
mécanisme qui serre la lame. Une
publicité de 1913 affirme qu'il y a,
dans le monde, six millions de
rasoir Gillette en usage. Avec
Gillette, vous avez "une peau douce
comme du velour". Et c'est pour
cette peau et son confort que le
groupe se diversifie depuis 1909
avec le savon "Gillette" pour la
barbe. Il existe, à l'époque, trente
modèles différents dont les
Nécessaires Gillettes avec un rasoir
Gillette, un savon Gillette et un
blaireau. Et, à partir de 1915, le
Milady Decollete, premier rasoir
féminin, "la méthode la plus sûre et
la plus hygiénique d'avoir des
aisselles douces". |

• Every man in
khaki ought to have one
Depuis un an, l'Europe est à feu et à sang.
La Première Guerre mondiale va offrir à
Gillette un vaste marché: le rasoir devient
le compagnon du soldat. Non seulement pour
l'hygiène des soldats qui restent des mois
interminables dans les tranchées, mais aussi
parce qu'une peau sans barbe permet une
meilleure tenue des masques à gaz.
La première commande militaire date de 1915
: 80000 rasoirs et 600000 paquets pour la
Russie. L'entrée en guerre des Etats-Unis,
en 1917, change les proportions. Le
gouvernement américain souhaite que le
nécessaire de rasage, "khaki set", soit
fourni avec l'uniforme. Le War Department
achète à Gillette 3,5 millions de rasoirs et
36 millions de lames pour les soldats.
Au sortir de la guerre, Gillette a une
présence commerciale à Madrid, Milan,
Istanbul, Shanghai, Tokyo. En 1925, Gillette
compte déjà 44 filiales à l'étranger, en
Europe, Amérique latine et Asie. Pour son
25ème anniversaire, en 1926, Gillette
annonce 60 millions de rasoirs vendus et 3,5
billions de lames. En décembre 1929,
Gillette est la première société américaine
à construire sa propre usine en Union
Soviétique, projet abandonné après le krach
boursier.
Le
groupe Gillette, des lames aux
stylos
La part des produits de rasage
représente en 1 997 29% des ventes
(9,7 milliards de dollars).
40% du chiffre d'affaires provient
de produits créés dans les cinq
dernières années. Le groupe entame
une diversification sur le marché
des cosmétiques avec l'acquisition,
en 1949, de Tony Company, une marque
de permamente. Tony entre sur le
marché du rouge à lèvres en 1954
(marque Viv), la mousse à raser
Foamy en 1954 et en 1957 un spray
pour les cheveux (Adorn). Gillette
lance en 1963 une lotion après
rasage (Sun Up) et en 1965 un
shampoing : Heads Up. 1964 :
Gillette sort un déodorant masculin:
Right Guard. L'achat de Paper Mate,
en 1955, fait entrer le groupe dans
le secteur des stylos. Avec Waterman
(1987), Liquid Paper (correcteurs)
et Parker ( 1993), Gillette est
aujourd'hui le numéro un mondial des
instruments à écrire. Egalement dans
le giron du groupe: Braun (rasoir
électrique et électroménager) acquis
en 1967, les brosses à dents (Oral-B)
en 1984, les cosmétiques Jafra,
Natrel, White Rain. Dernière
acquisition: les piles Duracell en
1996. Seule diversification qui
tourne court : les briquets. Criket,
briquet jetable lancé par ST Dupont
en 1 972 est cédé à Swedish Match en
1984 et ST Dupont, acquis en 1971,
est cédé à Dickson Concept en 1987. |
• Concurrence à
lame serrée
Le 15 novembre 1921, les droits exclusifs
sur le rasoir Gillette arrivent à
expiration. Certains pensent que la marque
ne va pas survivre aux nombreux rasoirs qui
arrivent sur le marché. Gillette répond par
l'innovation avec son "New Improved Gillette
Safety Razor" et une campagne de
communication de deux millions de dollars.
Exemple de publicité Gillette dans les
années trente réalisée par Maxon, agence de
publicité de Détroit : sur la photo, une
jeune femme en larmes étreint un portrait de
son mari, pendant que sa belle-mère la
console tendrement. "Ne t'inquiète pas, ma
chérie", dit la femme, "trop d'hommes
négligent de se raser. Je sais que c'est
vraiment une croix à porter pour toi et je
dois admettre que j'ai un peu honte de mon
fils... Je parlerai à Jim et verrai ce que
je peux y faire. Je suis sûre qu'il se
rasera plus soigneusement et plus souvent
quand il saura à quel point une barbe de
plusieurs jours te déprime". Le sexe faible
n'est pas oublié, comme en témoigne une
publicité, en 1928, pour le "Milady
Decollete" : "la mode oblige les dames à se
raser la nuque et les dessous de bras".
Pour contrer Schick, inventeur en 1921 du
premier rasoir mécanique à chargeur ("injector")
et du premier rasoir électrique en 1931,
Gillette lance en 1932, année de la mort du
fondateur, la Blue Super-Blade qui remplace
la Kroman Blade introduite en 1928 (Kroman
pour chrome). Plus qu'une innovation, c'est
une révolution puisque cette lame à fente
succède à la lame à trois trous.
"Son mordant incroyable est dû à cette fente
qui a rendu possible une double trempe
électrique: intense aux tranchants, douce au
centre", explique la réclame. Cette "superlame"
est "la lame de l'homme qui veut en tout la
perfection" (déjà !), affirme une publicité
parue dans l'Illustration en 1935.
La perfection, encore, lorsque Gillette
lance en 1936, Aristocrat, le rasoir d'une
seule pièce: "c'est le rasoir de l'homme qui
veut la perfection".
Dernière innovation avant la Seconde Guerre
mondiale: la lame Gillette Mince en 1940.
Durant le conflit, le War Production Board
limite la production de rasoirs à l'usage
strictement rnilitaire. 1946: fini le temps
où l'on déballait les lames au risque de se
couper, Gillette les présente dorénavant
dans une petite boîte. En France, la marque
confie sa communication à J. Riberprey à qui
l'on doit les films "Enquête dans la rue",
"Enquête au stade" et la signature "A
l'homme bien rasé, on reconnaît Gillette".
Le rasoir devient "ajustable" en 1957 : avec
9 réglages "il s'ajuste à votre barbe",
souligne la publicité.

1957: le Gillette
devient "ajustable". |

Lancé en 1963 aux Etats-Unis,
Super Silver débarque
en France en 1966 |

La perfection au...
féminin : de 1984 à... |
Mais il faut attendre 1960 pour que Gillette
-The Gillette Company (4) depuis 1951 -, qui
n'avait pas sorti de nouvelle lame depuis la
fin des années trente, innove avec la Super
Blue Blade (Gillet te Bleue Extra), une lame
munie d'une petite couche de silicone qui
atténue la pression contre la peau et la
moustache. "Gillette offre une nouvelle lame
si performante que c'est dur de la décrire",
annonce la publicité. La compétition, tant
redoutée par King C. Gillette (qui disparaît
des packagings en 1963), devient de plus en
plus vive. Un an après Wilkinson qui vient
de lancer, en 1962, la première lame en
acier inoxydable, Gillette sort son modèle,
Super Silver.
Une concurrence qui tourne à l'avantage du
groupe de Boston: Gillette avait breveté une
lame identique bien avant Wilkinson qui
accepta de payer des royalties à Gillette
(5).
Cette lame débarque en France, en 1966. La
perfection est encore au rendez-vous, comme
en témoigne cette publicité: "après 16
façonnements, 72 contrôles, un triple
affûtage, une pulvérisation de
polytetrafIuoréthylène, cette Super Silver
longue durée va vous raser à la précision, à
la perfection". Super Silver Gillette, "la
grande amoureuse de votre peau", "éclipse
toutes les autres lames".
Avec le Techmatic Band Razor, introduit sur
le marché américain en 1965 et français en
1967, "Gillette invente le rasage pour la
deuxième fois". Pour l'heure, la préférence
des consommateurs va plutôt vers le rasoir
électrique. D'où la communication, signée
Publicis, où le rasoir mécanique "Ni lame,
ni moteur, un ruban", provoque en duel le
rasoir électrique. Doit -on désigner le
vainqueur ? Une version électrique du
Techmatic, appelé Sure Touch, apparaît en
1971. Nouvelle lame, en 1970, avec Silver
Platine, première lame traitée au platine
pour un tranchant plus résistant, "une
douceur qui n'en finit pas".
...
1994 avec le Sensor pour
elle.
|
Véritable rupture, en 1971 avec le lancement
de Trac Il, baptisé G Il lors de son
lancement international en 1972.
Souvenez-vous : "la première coupe le poil
et le tire, la deuxième peut le recouper
avant qu'il ne se rétracte", explique
Christian Clavier, alors jeune comédien au
café-théâtre, dans une publicité signée
Publicis. Grâce à la microphotographie, on
constate que le poil, après avoir été coupé,
ne se rétracte pas immédiatement mais reste
hors de son follicule pendant une courte
période appelée "hystérésis". D'où la
deuxième lame. "On est plus efficace quand
on est deux", rappelle, comme une évidence,
la publicité, sur l'air de" Alouette,
gentille alouette". Autre atout: ce nouveau
rasoir augmente la sécurité en diminuant les
risques de coupure.
1975 : la balle est dans le camp de la
concurrence avec Bic et ses jetables. "Ne
changez plus de lame, changez de rasoir",
conseille alors la publicité. Gillette
réplique en 1976 avec le rasoir jetable "une
lame" et le "deux lames jetables" (baptisé
Good News aux Etats-Unis puis Blue II en
1985). "Deux, c'est mieux qu'une", reconnaît
la publicité qui apporte la preuve avec la
bicyclette à - une roue, le rameur à une
rame, etc. 1979 : Gillette reprend
l'offensive en France avec Contour (lancé
aux Etats-Unis en 1977 sous le nom de Atra),
le premier rasoir à deux lames à tête
pivotante "qui suit les reliefs". Contour ou
"La tête qui s'adapte à votre tête", slogan
signé par l'agence McCann-Erickson. Cette
innovation bénéficie au jetable avec Slalom,
en 1981.
Après la précision, la douceur.
Tout
feu, tout lame.
Nos ancêtres les Gaulois se
rasaient-ils ?
Les plus vieux rasoirs dateraient
d'environ quatre mille ans avant
J.C. Les barbiers de l'Egypte
ancienne utilisaient une lame de
bronze à multiples courbures et à
crochet. A l'époque des Romains, on
utilisait une lame en fer affûtée
sur une pierre. Le coupe-choux
apparaît au seizième siècle.
On se rase 3 350 heures soit six
mois de sa vie. La barbe (du latin
"barba", poil du menton) a 15 000
poils et pousse de 14cm par an soit
9 mètres sur une vie. Seule partie
du monde où la demande est faible :
l'Asie, faute d'une pilosité
suffisante. C'est pour défendre le
rasage à la lame que Gillette
engage, en octobre 1996, des
poursuites pour publicité mensongère
et trompeuse contre une filiale
américaine de Philips qui, pour
vanter les mérites du rasoir
électrique, assimile dans une
campagne publicitaire l'expérience
du rasage à la lame à la brûlure
infligée par un lance-flammes ! |
Introduit aux Etats-Unis en 1985, Gillette
Contour Plus (Atra Plus) est muni de la
première cartouche (Lubrastrip) à plaquette
lubrifiante qui dépose un film protecteur
sur la peau. Cette innovation bénéficie en
1989 de la première campagne introduite
simultanément dans 19 pays, Amérique du Nord
et Europe de l'Ouest. Slogan: "The Best a
man Can Get". En France: "la précision, la
douceur en plus".
L'heure est à la stratégie mondiale et à la
création d'un territoire de communication
pour Gillette, fondé sur le culte de la
jeunesse et de l'homme universel (6). Le
slogan "la perfection au masculin", créé par
l'agence BBDO, signe en 1988 la
communication du rasoir Contour Plus.
Aboutissement de cette perfection: Sensor,
premier rasoir universel lancé le 2 janvier
1990. "Gillette changera à tout jamais la
façon dont les hommes se rasent", prévient
la communication. Dès la première année,
vingt-huit millions de rasoirs et 424
millions de recharges sont vendus dans 17
pays !
En
un an, Sensor s'adjuge 31% de part de marché
des rasoirs.. Le succès dépasse les
prévisions! L'Italie, l'Espagne et le
Portugal attendront un an. "Imaginez un
rasoir capable de sentir chaque nuance de
votre visage. Les deux lames détectent en
permanence les moindres courbes et détails
de votre visage automatiquement. Sensor,
pour un rasage de plus près, un rasage plus
doux, plus sûr que jamais. Un rasage
parfait", explique la publicité. Il a fallu
pas moins de dix ans et 22 brevets déposés
pour que le centre de recherche de Gillette,
basé à Reading (près de Londres) passe du
concept -un rasoir souple qui suit les
courbes du visage - au produit final : deux
lames deux fois plus fines que les
ordinaires montées individuellement sur des
ressorts quasi-microscopiques en résine et
recouvertes de chrome et de platine. Réalisé
par ordinateur, Sensor a nécessité deux
innovations majeures : la technique de
soudage au laser sur 13 points différents
pour fixer les lames qui n'émousse pas le
tranchant de l'acier a le contrôle "au poil
près" par un système vidéo qui prévoit 20
tests. Les sommes engagées sont à la mesure
de l'enjeu : 175 millions de dollars
consacrés à la recherche, 100 millions de
dollars à la publicité pour la seule année
1990, le plus gros budget publicitaire de
Gillette depuis sa création. Sensor "un seul
rasoir et un seul nom dans tous les pays"
détient aujourd'hui plus de 60% de part de
marché mondial. Et l'on doit à Publicis le
fameux claim : "Pour être bien, pour être au
mieux, nous te guiderons jusqu'à ta
perfection pour qu'à chaque instant ce soit
toi le gagnant. Gillette, la perfection au
masculin".
Au reste, celle-ci étant sans limite,
Gillette crée Sensor Excel en septembre
1993. "Pour être rasé plus près que jamais",
Sensor Excel est constitué de lamelles en
élastomère pour adoucir la peau et tirer le
poil, d'une plaquette lubrifiante, d'un
manche comportant des stries en élastomère
et taillées en pointe de diamant pour une
meilleure prise en main. Pas moins de 29
brevets ont été déposés.

Première campagne introduite
simultanément
dans 19 pay en 1989 |
 |
La
perfection se décline aussi au féminin (7).
Juin 1992 : après dix années de recherche et
25 brevets déposés, Gillet te lance aux
Etats-Unis la version féminine de Sensor.
Particularité de ce rasoir : il fut conçu
par Jill Shurtleff, la seule femme designer
du groupe. Aux couleurs céladon, muni d'un
manche ergonomique antidérapant, plat, large
et arrondi avec le système Lubrastrip, une
petite bande verte qui distille de l'aloès
et des agents hydradants, ce rasoir s'adjuge
33% de l'ensemble des rasoirs vendus aux
Etats-Unis, trois mois après son lancement!
Après l'Angleterre en 1993, la France (8)
est investie en 1994 avec comme signature
publicitaire "Enfin un rasoir fait pour
Elle". Plus de cinquante millions de rasoirs
pour femme ont été depuis vendus en Europe
et en Amérique du Nord. Après le rasoir pour
femme, Gillette entre sur le segment des
préparations au rasage pour femmes avec
Satin Gel.
1994 est aussi l'année où Gillet te lance en
France sa gamme Series, gamme mondiale de
soin pour homme introduite en janvier 1993
aux Etats-Unis, Canada et Grande-Bretagne.
Présent sur le marché des mousses à raser
depuis 1936 avec Brushless shaving cream,
Gillette étend sa marque à l'ensemble des
produits de soins pour homme : préparations
au rasage, soin et eaux de toilette. Le
projet, baptisé Apollo, entend montrer que
Gillette est une marque capable d'offrir, du
rasoir aux produits de soins, une réponse
complète aux besoins quotidiens de l'hygiène
masculine. Particularité de cette gamme: les
produits ont été mis au point en même temps
que le packaging, réalisé par l'agence
Desgrippes (9). Pour rappeler le design de
Sensor, la gamme est habillée de bleu et
métal argenté et le packaging est fait de
fines rainures ("grips"), sculptées
latéralement pour une bonne prise en main. A
l'aube du XXIème siècle, qui peut encore
éviter de se raser le matin ?
Les barbus, certes! Mais aussi certains
salariés de Gillette ! Tous les matins, à
l'usine de Boston, ils viennent le menton
hirsute pour... tester les produits !
La
gamme Seies
conçue en 1993
par l'agence Desgrippes.
|
(1) "The Man
and His Wonderful Shaving Device" C
Gillette par Russel Adams, éditions
Little, Brown and Compagny, 1978.
Traduction réalisée par Anne-Cécile
Carré
(2) Les origines américaines de Gillette
remontent à 1630 avec un certain Nathan
Gillett (sans e) dont les ancêtres
huguenots français avaient fuient
Bergerac (France) au moment du massacre
de la Saint Barthélémy en 1572.
(3) Pour les seuls Etats-Unis, il
envisageait une ville où les gens
vivraient dans des tours circulaires à
coupole de verre. Cette métropole serait
située près des chutes du Niagara pour
la production électrique !
(4) Rasoirs, lames et crèmes après
rasage sont regroupées dans la division
Gillette Safety Razor Compagny.
(5) Gillette acquiert les activités
rasoir et lames de Wilkinson en 1990, en
dehors de l'Europe et des Etats-Unis.
(6) Le groupe sort d'une zone de
turbulence !
Entre 1986 et 1988, Gillette est l'objet
de quatre OPA dont trois de Revlon et
une de l'investisseur new-yorkais
Coniston Patners.
(7) Depuis le Milady Decollete, Gillette
a lancé d'autres rasoirs pour les femmes
: le "Lady Gillette" (1963), The Lady
Sure Touch jetable (1972), Daisy rasoir
jetable pour les femmes (1975), "Just
Whistle" (1980.
(8) Habitudes des Française à l'égard de
la dépilation : rasoir mécanique (55%),
crème dépilatoire (24%), épilateur
électrique (19%), rasoir électrique
(8%), cire chaude (9%), cire froide
(4%). Total supérieur à 100% du fait
d'utilisation mixtes.
(9) Gillette Series ou l'expérience d'un
projet de design international, par Joël
Desgrippes, la Revue des Marques, avril
1994.
|
|
|
Prodimarques, 71 avenue Victor Hugo, Paris 75116
- © Copyright2005
Liens utiles |
|