Barbes à papa
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Rasage-plaisir à l'ancienne chez le dernier maître barbier de
Paris, qui retaille le « gothy » d'Halliday, « coupe-chou » à la
main. Dans son
salon-musée de la rue Saint-Claude, il nous
invite à un voyage initiatique pas barbant pour un sou. Et
confirme le retour furieusement tendance du poil au menton.
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Une corvée virile
La
femme à barbe
restant une exception culturelle en voie de disparition dans les
pays développés, s'il est un geste éminemment masculin, c'est
bien celui qui consiste à se couper les poils du menton tous les
matins du monde. Au moins autant que le rire, le rasage (du
système pilo-facial) est donc le propre de l'homme.
On exécute cette corvée virile seul devant son miroir, c'est
alors le rasage-contrainte, plutôt rasoir à pratiquer. Ou bien,
le
nez plongé dans la serviette chaude, on choisit de
s'abandonner aux mains expertes d'un maître barbier. Cela
devient un bonheur rare proche de la volupté.
Moins mythique que le
barbier de Séville, il existe encore à
Paris, un authentique, un vrai maître barbier, surnommé « le
barbier de sa ville » qui, tel le dernier des Mohicans, reste
quasi seul sur la place à perpétuer la grande tradition de sa
profession, répertoriée dès 1292 dans les registres de la taille
(forcément) et de la gabelle.
Avec, explique-t-il, le droit au port de l'épée (de bois pour
éviter les duels !) accordé par le roi Soleil en personne, après
que Félix, son chirurgien, qui le rasait deux fois par semaine,
l'eut opéré avec succès d'une fistule !
Le gothy
d'Hallyday
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Le gothy
d'Hallyday
Fin collier poivre
et sel, oeil sévère voilé de malice et érudition truffée
d'humour, Maître Alain vous reçoit sur rendez-vous dans son
petit salon musée de la rue Saint-Claude, dans le 3e
arrondissement. Premier clin d'oeil : c'est à deux pas des
figaros ordinaires du boulevard Beaumarchais !
Le Tout-Paris de la politique, de la
chanson et du spectacle
vient ici se faire tailler la barbe, friser la
moustache ou tout
simplement
raser à l'ancienne selon les règles de l'art.
Quand il n'est pas sur le Paris-Dakar, Johnny Hallyday compte
parmi les clients fidèles du maestro et n'accepterait pas qu'un
autre que lui touche à son « gothy ». Pour ceux qui l'ignorent,
le « gothy » étant cette petite barbe rase, englobant bouc et
moustache, mise à la mode par les
rappeurs US et devenu
furieusement tendance depuis qu'Agassi et Barthez l'ont adopté
les premiers.
Elle peut prendre les formes les plus...
gothiques et requiert
un rasoir intelligent pour ne pas finir en hémorragie. Le maître
barbier parisien en traite des douzaines actuellement.
Le premier rasage
s'opère dans le sens du poil. Méthodiquement et avec un
instrument parfaitement aiguisé. Ensuite, second savonnage et
second passage du rasoir mais cette fois dans le sens contraire
du poil. Nuance.
Le rasoir refermé, un rinçage soigneux précède l'application sur
l'épiderme de la pierre d'alun ? un choix maison - dont les
propriétés astringentes font merveille pour resserrer les pores
de la peau, cautériser les micro-coupures, éviter rougeurs et
boutons.
Le massage du visage du client avec une crème hydratante précède
l'application, bien connue mais toujours délicieuse, de la
serviette chaude qui, par effet de vasodilatation, favorise la
pénétration du produit en soulageant la peau. Eviter
l'after-shave alcoolisé qui irrite. Lui préférer un baume de
rasage de qualité pour reconstituer le « film hydrolipique » de
l'épiderme altéré par le feu, même bien maîtrisé, du rasoir.
La dernière opération est un acte de régression pure : les joues
de l'homme glabre sont talquées avec la même délicatesse que les
fesses d'un bébé. Un être neuf, reposé, détendu s'exhume du
fauteuil délicieusement kitsch du salon
Le
Plisson de
Napoléon
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Raffinement suprême,
Johnny, parmi d'autres noms célèbres restés incognito, possède
son « coupe-chou » taillé sur mesure et marqué de ses initiales
qui trône au milieu des
rasoirs-couteaux magnifiques, de la
collection de l'établissement. C'est encore plus chic que
d'avoir sa bouteille dans un night-club en vogue.
« Ici, on coupe même les portables ! » annonce le maître de
céans, très pince-sans-rire. Le rasage à l'ancienne qu'il
pratique est en effet un acte presque religieux qui réclame
l'attention des participants et se déroule selon un rituel bien
précis.
Première étape : eau chaude sur le visage et savonnage ? au
blaireau toujours ! - avec un savon spécial ou une crème à barbe
de qualité (la française Plisson ou l'anglaise Crabtree and
Evelyn sont utilisées chez Alain).
Selon l'adage, une barbe bien savonnée est à moitié rasée,
rappelle Alain qui présente toute une série de brosses dont
certaines au manche précieux sont de vrais bijoux. (entre 600 et
6000 F). La « Rolls » reste là encore le « Plisson »
qu'utilisaient déjà Napoléon et le général de Gaulle.
Des joues de
bébé
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Le premier rasage
s'opère dans le sens du poil. Méthodiquement et avec un
instrument parfaitement aiguisé. Ensuite, second savonnage et
second passage du rasoir mais cette fois dans le sens contraire
du poil. Nuance.
Le rasoir refermé, un rinçage soigneux précède l'application sur
l'épiderme de la pierre d'alun ? un choix maison - dont les
propriétés astringentes font merveille pour resserrer les pores
de la peau, cautériser les micro-coupures, éviter rougeurs et
boutons.
Le massage du visage du client avec une crème hydratante précède
l'application, bien connue mais toujours délicieuse, de la
serviette chaude qui, par effet de vasodilatation, favorise la
pénétration du produit en soulageant la peau. Eviter
l'after-shave alcoolisé qui irrite. Lui préférer un baume de
rasage de qualité pour reconstituer le « film hydrolipique » de
l'épiderme altéré par le feu, même bien maîtrisé, du rasoir.
La dernière opération est un acte de régression pure : les joues
de l'homme glabre sont talquées avec la même délicatesse que les
fesses d'un bébé. Un être neuf, reposé, détendu s'exhume du
fauteuil délicieusement kitsch du salon
Moustaches au
pluriel
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Le rituel s'achève...Il
demande au moins 20 minutes de travail. « On y passe le temps
qu'il faut » assure maître Alain, qui exclut toute notion de
précipitation pour cause de rentabilité. Il officie au
rasoir-couteau ordinaire, stérilisé avant chaque nouvelle
opération. Mais pour les clients qui craignent l'hépatite ou le
sida, il dispose d'un « coupe-chou » spécial à lame jetable
après chaque usage.
Pour un bon rasoir, il faut compter de 500 à 3000 F,
indique-t-il. On en fabrique encore d'excellents à
Thiers, à
Solingen en Allemagne, à Sheffield en Angleterre et à Tolède en
Espagne. On trouve de bons
affiloirs en cuir pour les aiguiser.
Mais il faut désormais éviter les pierres dont le grain est
souvent trop gros pour le fil de la lame.
Barbier mais également coiffeur, Alain, en véritable «
paysagiste » du visage, ne se contente pas de
raser à
l'ancienne. Il débroussaille et met en forme toutes les barbes
en les adaptant à la tête du client et toutes les
moustaches (au
pluriel car elles vont par paire !) De la « russe » en
papillote, à la « Guillaume II » à crocs remontants, en passant
par la « française » à petits pinceaux, on n'a que l'embarras du
choix.
Le « PSG » au
menton
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Parmi les habitués,
le salon compte une barbe carrée de sapeur et une « prussienne »
majestueuse plutôt compliquée à jardiner. Sans parler des
extravagances. Comme ce « PSG » sculpté au menton d'un jeune
supporter. Du grand art.
Le barbier de Paris ? conseiller technique auprès de l'Opéra
Bastille pour le
Barbier
de Séville ! ? fait de la formation et
donne des leçons, même aux particuliers. Il intervient sur le
tournage de films et dans ce domaine son érudition est
étourdissante.
Vous connaissez le western où Terence Hill dégaine en pleine
séance de rasage ? Lui, oui. C'est « Mon nom est personne ».
Alain cite Malraux et Jacques Cheissex dans le texte, explique
pourquoi le barbu à quelque chose à montrer. Et non pas à
cacher, comme le veut l'adage : « Le poil, c'est l'homme. C'est
la virilité... » explique-t-il, soulignant l'importance
ontologique de cet ornement pileux dans l'affirmation de la
toute-puissance du mâle. On naît coiffé mais on devient barbu.
Et comme, selon Sartre, l'homme est ce qu'il créé, la barbe
serait donc existentialiste.
Le retour de la
barbe
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Vrai puits de science
pileuse, le maestro collabore actuellement à une étude
sociologique sur le port de la barbe.
D'où il ressort que ladite barbe, discréditée par le sinistre
Landru, délaissée pour oublier l'hécatombe des « poilus »,
tombée presque en désuétude durant les trente glorieuses, fait
un retour en force aujourd'hui grâce au « gothy » et aux joues
savamment mal rasées des baroudeurs modernes.
Les moustaches aussi reprennent du poil de la bête. Maître Alain
a donc de beaux jours devant lui. Et ses clients itou. D'autant
que se faire la tête de Barthez ne revient pas si cher. (Comptez
25 euros le gothy, 16 le rasage à l'ancienne, 10 la taille de la
barbe et 5,50 les moustaches).
On peut offrir une séance à un ami. Voire même à une amie. Dans
ce cas, il y a de fortes chances pour que la coupe soit gratuite
: le phantasme (inassouvi) du maître barbier de Paris reste
toujours de raser une femme à barbe !
Actualisé le
23 novembre 2004. |
Gérard Ducret
[07 février 2002] |
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