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Barbes à papa

© 2001 Cécile Mabileau Rasage-plaisir à l'ancienne chez le dernier maître barbier de Paris, qui retaille le « gothy » d'Halliday, « coupe-chou » à la main. Dans son salon-musée de la rue Saint-Claude, il nous invite à un voyage initiatique pas barbant pour un sou. Et confirme le retour furieusement tendance du poil au menton.
 
© 2001 Cécile Mabileau


 

Une corvée virile

La femme à barbe restant une exception culturelle en voie de disparition dans les pays développés, s'il est un geste éminemment masculin, c'est bien celui qui consiste à se couper les poils du menton tous les matins du monde. Au moins autant que le rire, le rasage (du système pilo-facial) est donc le propre de l'homme.

On exécute cette corvée virile seul devant son miroir, c'est alors le rasage-contrainte, plutôt rasoir à pratiquer. Ou bien, le nez plongé dans la serviette chaude, on choisit de s'abandonner aux mains expertes d'un maître barbier. Cela devient un bonheur rare proche de la volupté.

Moins mythique que le barbier de Séville, il existe encore à Paris, un authentique, un vrai maître barbier, surnommé « le barbier de sa ville » qui, tel le dernier des Mohicans, reste quasi seul sur la place à perpétuer la grande tradition de sa profession, répertoriée dès 1292 dans les registres de la taille (forcément) et de la gabelle.

Avec, explique-t-il, le droit au port de l'épée (de bois pour éviter les duels !) accordé par le roi Soleil en personne, après que Félix, son chirurgien, qui le rasait deux fois par semaine, l'eut opéré avec succès d'une fistule !
 

Le gothy d'Hallyday

© 2001 Cécile Mabileau et © seniorplanet - photo G. Ducret


 

Le gothy d'Hallyday

Fin collier poivre et sel, oeil sévère voilé de malice et érudition truffée d'humour, Maître Alain vous reçoit sur rendez-vous dans son petit salon musée de la rue Saint-Claude, dans le 3e arrondissement. Premier clin d'oeil : c'est à deux pas des figaros ordinaires du boulevard Beaumarchais !

Le Tout-Paris de la politique, de la chanson et du spectacle vient ici se faire tailler la barbe, friser la moustache ou tout simplement raser à l'ancienne selon les règles de l'art.

Quand il n'est pas sur le Paris-Dakar, Johnny Hallyday compte parmi les clients fidèles du maestro et n'accepterait pas qu'un autre que lui touche à son « gothy ». Pour ceux qui l'ignorent, le « gothy » étant cette petite barbe rase, englobant bouc et moustache, mise à la mode par les rappeurs US et devenu furieusement tendance depuis qu'Agassi et Barthez l'ont adopté les premiers.

Elle peut prendre les formes les plus... gothiques et requiert un rasoir intelligent pour ne pas finir en hémorragie. Le maître barbier parisien en traite des douzaines actuellement.

 

Le premier rasage s'opère dans le sens du poil. Méthodiquement et avec un instrument parfaitement aiguisé. Ensuite, second savonnage et second passage du rasoir mais cette fois dans le sens contraire du poil. Nuance.

Le rasoir refermé, un rinçage soigneux précède l'application sur l'épiderme de la pierre d'alun ? un choix maison - dont les propriétés astringentes font merveille pour resserrer les pores de la peau, cautériser les micro-coupures, éviter rougeurs et boutons.

Le massage du visage du client avec une crème hydratante précède l'application, bien connue mais toujours délicieuse, de la serviette chaude qui, par effet de vasodilatation, favorise la pénétration du produit en soulageant la peau. Eviter l'after-shave alcoolisé qui irrite. Lui préférer un baume de rasage de qualité pour reconstituer le « film hydrolipique » de l'épiderme altéré par le feu, même bien maîtrisé, du rasoir.

La dernière opération est un acte de régression pure : les joues de l'homme glabre sont talquées avec la même délicatesse que les fesses d'un bébé. Un être neuf, reposé, détendu s'exhume du fauteuil délicieusement kitsch du salon
 

Le Plisson de Napoléon



 

Raffinement suprême, Johnny, parmi d'autres noms célèbres restés incognito, possède son « coupe-chou » taillé sur mesure et marqué de ses initiales qui trône au milieu des rasoirs-couteaux magnifiques, de la collection de l'établissement. C'est encore plus chic que d'avoir sa bouteille dans un night-club en vogue.

« Ici, on coupe même les portables ! » annonce le maître de céans, très pince-sans-rire. Le rasage à l'ancienne qu'il pratique est en effet un acte presque religieux qui réclame l'attention des participants et se déroule selon un rituel bien précis.

Première étape : eau chaude sur le visage et savonnage ? au blaireau toujours ! - avec un savon spécial ou une crème à barbe de qualité (la française Plisson ou l'anglaise Crabtree and Evelyn sont utilisées chez Alain).

Selon l'adage, une barbe bien savonnée est à moitié rasée, rappelle Alain qui présente toute une série de brosses dont certaines au manche précieux sont de vrais bijoux. (entre 600 et 6000 F). La « Rolls » reste là encore le « Plisson » qu'utilisaient déjà Napoléon et le général de Gaulle.
 

Des joues de bébé

© 2001 Cécile Mabileau et © seniorplanet - photo G. Ducret


 

Le premier rasage s'opère dans le sens du poil. Méthodiquement et avec un instrument parfaitement aiguisé. Ensuite, second savonnage et second passage du rasoir mais cette fois dans le sens contraire du poil. Nuance.

Le rasoir refermé, un rinçage soigneux précède l'application sur l'épiderme de la pierre d'alun ? un choix maison - dont les propriétés astringentes font merveille pour resserrer les pores de la peau, cautériser les micro-coupures, éviter rougeurs et boutons.

Le massage du visage du client avec une crème hydratante précède l'application, bien connue mais toujours délicieuse, de la serviette chaude qui, par effet de vasodilatation, favorise la pénétration du produit en soulageant la peau. Eviter l'after-shave alcoolisé qui irrite. Lui préférer un baume de rasage de qualité pour reconstituer le « film hydrolipique » de l'épiderme altéré par le feu, même bien maîtrisé, du rasoir.

La dernière opération est un acte de régression pure : les joues de l'homme glabre sont talquées avec la même délicatesse que les fesses d'un bébé. Un être neuf, reposé, détendu s'exhume du fauteuil délicieusement kitsch du salon
 

Moustaches au pluriel

© 2001 Cécile Mabileau et © seniorplanet - photo G. Ducret


 

Le rituel s'achève...Il demande au moins 20 minutes de travail. « On y passe le temps qu'il faut » assure maître Alain, qui exclut toute notion de précipitation pour cause de rentabilité. Il officie au rasoir-couteau ordinaire, stérilisé avant chaque nouvelle opération. Mais pour les clients qui craignent l'hépatite ou le sida, il dispose d'un « coupe-chou » spécial à lame jetable après chaque usage.

Pour un bon rasoir, il faut compter de 500 à 3000 F, indique-t-il. On en fabrique encore d'excellents à Thiers, à Solingen en Allemagne, à Sheffield en Angleterre et à Tolède en Espagne. On trouve de bons affiloirs en cuir pour les aiguiser. Mais il faut désormais éviter les pierres dont le grain est souvent trop gros pour le fil de la lame.

Barbier mais également coiffeur, Alain, en véritable « paysagiste » du visage, ne se contente pas de raser à l'ancienne. Il débroussaille et met en forme toutes les barbes en les adaptant à la tête du client et toutes les moustaches (au pluriel car elles vont par paire !) De la « russe » en papillote, à la « Guillaume II » à crocs remontants, en passant par la « française » à petits pinceaux, on n'a que l'embarras du choix.
 

Le « PSG » au menton

© 2001 Cécile Mabileau et © seniorplanet - photo G. Ducret


 

Parmi les habitués, le salon compte une barbe carrée de sapeur et une « prussienne » majestueuse plutôt compliquée à jardiner. Sans parler des extravagances. Comme ce « PSG » sculpté au menton d'un jeune supporter. Du grand art.

Le barbier de Paris ? conseiller technique auprès de l'Opéra Bastille pour le Barbier de Séville ! ? fait de la formation et donne des leçons, même aux particuliers. Il intervient sur le tournage de films et dans ce domaine son érudition est étourdissante.

Vous connaissez le western où Terence Hill dégaine en pleine séance de rasage ? Lui, oui. C'est « Mon nom est personne ».

Alain cite Malraux et Jacques Cheissex dans le texte, explique pourquoi le barbu à quelque chose à montrer. Et non pas à cacher, comme le veut l'adage : « Le poil, c'est l'homme. C'est la virilité... » explique-t-il, soulignant l'importance ontologique de cet ornement pileux dans l'affirmation de la toute-puissance du mâle. On naît coiffé mais on devient barbu. Et comme, selon Sartre, l'homme est ce qu'il créé, la barbe serait donc existentialiste.
 

Le retour de la barbe

© 2001 Cécile Mabileau


 

Vrai puits de science pileuse, le maestro collabore actuellement à une étude sociologique sur le port de la barbe.

D'où il ressort que ladite barbe, discréditée par le sinistre Landru, délaissée pour oublier l'hécatombe des « poilus », tombée presque en désuétude durant les trente glorieuses, fait un retour en force aujourd'hui grâce au « gothy » et aux joues savamment mal rasées des baroudeurs modernes.

Les moustaches aussi reprennent du poil de la bête. Maître Alain a donc de beaux jours devant lui. Et ses clients itou. D'autant que se faire la tête de Barthez ne revient pas si cher. (Comptez 25 euros le gothy, 16 le rasage à l'ancienne, 10 la taille de la barbe et 5,50 les moustaches).

On peut offrir une séance à un ami. Voire même à une amie. Dans ce cas, il y a de fortes chances pour que la coupe soit gratuite : le phantasme (inassouvi) du maître barbier de Paris reste toujours de raser une femme à barbe !
 

Actualisé le 23 novembre 2004.

Gérard Ducret
[07 février 2002]